Histoire des méthodes de financement des ouvrages publics

Références :

1 - Etudes Historiques sur l’administration des voies publiques en France aux dix-septième et dix-huitième siècles - 1862 - JM Vignon par Dunod Editeur à Paris, Tome XVIII
2 - Etudes Historiques sur l’administration des voies publiques en France aux dix-septième et dix-huitième siècles - 1862 - JM Vignon par Dunod Editeur à Paris, Tome XVIII - T2

Les premiers moyens utilisés pour la construction et l’entretien des ouvrages publiques

Le financement des constructions et de l’entretien des ouvrages publiques a été de tout temps un dilemme politique et stratégique important.
Politique, car bien sûr ces ouvrages requièrent pour leur constructions ou entretiens des sommes considérables souvent hors de portée des finances des « gouvernants », mais par ailleurs l’impôt comme les péages sont mal perçu par la population.
Stratégique, car c’est par eux que la richesse, et la croissance mais aussi l’ennemi arrive.

Parmi les sources de financement ou de ressources en général nous notons :

Néanmoins, souvent au cours des siècles, la volonté politique est soit absente, soit sans force, pour maintenir ces dispositifs efficaces.

Quatre exceptions au cours de l’histoire de France apparaissent clairement :

 

La corvée – premier dispositif : une contribution en nature

Sous le régime féodal, au moyen âge et dans la période de transition entre le moyen age et la société moderne, rien n‘était plus naturel, plus conforme à l’état social que l’acquittement en travail ou en produits directs du travail, des services, redevances, aides diverses en nature, dus par les serfs au maître, par les tenanciers au propriétaire, par les vassaux au seigneur, par les sujets au roi. La monnaie, signe représentatif des produits du travail, était trop rare pour qu’il fut généralement possible à ceux à qui incombaient ces devoirs, de remplacer leur acquittement en nature par un payement en numéraire. De là, entre autres charges des peuples, la corvée, ou la dette du travail du corps, qui du reste était une tradition des sociétés antiques.
La corvée consistait dans ce travail de l’homme du peuple ou du manoeuvrier, qui n’exige que l’emploi des bras et de la force corporelle. Ce genre de travail n’était guère possible aux habitants des villes, même aux simples artisans.
Pour exemple (ref 1, tome 1,p3) : en 793, selon un capitulaire, suivant la chronique du chanoine de Saint-Gal, on se borna à invoquer et à remettre en vigueur l’ancienne coutume, sans doute tombée en désuétude. Cette coutume obligeait les populations à exécuter les travaux de constructions de ponts, d’établissement de chaussées et de restaurations des chemins sur l’ordre et sous la direction des comtes et de leurs officiers. Il y avait des ponts qui se construisaient par ban ou corvée (un capitulaire de 819 punit d’une amende de 4 sols au profit du Trésor Public, quiconque n’aura pas répondu au ban).
La corvée fut très largement utilisée jusqu’au XVIème siècle. Colbert ne voulut pas se laisser entraîner dans cette voie. Nulle part il n’autorisa en principe et d’une manière générale l’emploi de la corvée aux travaux des chemins. Malgré après la mort de Louis XIV, les caisses de l’Etat étant exsangues, ce fut de nouveau le seul moyen disponible pour effectuer les taches ci-dessus, et ainsi la corvée des grands chemins se trouva-t-elle en vigueur dans toutes les provinces régies par l’administration centrale. Ainsi la corvée des grands chemins se trouva-t-elle rétablie en 1738 avec le concours de Daniel Trudaine, dans toutes les provinces régies par l’administration centrale : Le travail des corvées des grands chemins est alors porté à 30 jours de travail annuel, en incluant la possibilité d’y commander les enfants de tout sexe, au-dessus de 12 ans. Certains ont évalué l'équivalent main d’œuvre produit par cette corvée à 12 millions de Francs (vers 1650), pour une réelle valeur productive de moitié.

 

Les péages

Les premiers péages remontent à la Gaule des Romains. Ils avaient pour objectif premier de pourvoir aux dépenses de construction et d’entretien des ouvrages. Puis vinrent les perceptions purement fiscales, souvent des exactions plus ou moins déguisées, au profit des seigneurs propriétaires de fiefs. On peut y rattacher les droits de traites ou de douanes aux limites des provinces.
Les premiers (entretiens) sont détournés de leur destination. Sans ces péages, la presque totalité des ponts et ouvrages destinés à franchir des passage difficiles, n’auraient pas existé. Après la construction première, il fallait surtout réparer et reconstruire. (En 1862) ce qui nous est resté des ponts construits au moyen age, et l’histoire et la tradition des nombreuses chutes de ponts accusent leur peu de solidité, surtout dans les fondations, et l’inexpérience de leurs constructeurs. D’ailleurs soit à cause de cette inhabilité pour les maçonneries, soit à cause de l’insuffisance des ressources ou de l’éloignement et des difficultés de transport, beaucoup de ponts se faisaient en bois, et demandaient ainsi souvent à être renouvelés. Or les réparations et les reconstructions ne se faisaient pas, bien que les péages continuassent à se percevoir. De sorte de que les péages, nés du besoin de faciliter la circulation, sont devenus un des principaux obstacles et ont justifié l’antipathie prononcée qui a survécu en France à leur généralisation et à leur abus.
Cette antipathie était largement amplifiée par les inégalités d’application de ceux-ci et notamment des exemptions.
Les péages étaient aussi pour les barons féodaux une riche mine qu’ils exploitaient à l’envi, sans se soucier du danger de l’épuiser.

Bien que constituant la principale ressource du XIIème au XVIIème, l’efficacité des péages était très largement contestable :

Inefficacité des édits sur les péages

Tous ces actes, au surplus, qui se répètent pendant 3 siècles, établissent de la manière la plus nette le droit et le fait en cette matière, mais aussi le désaccord presque permanent entre l’un et l’autre. Il faudra encore un siècle et la volonté énergique de Colbert pour faire disparaître ce désaccord. En vain les rois ordonnent-ils de saisir les deniers des péages que les possesseurs ne lèvent que pour leur profit particulier et comme « revenu à eux appartenant et faisant partie de leur fief et seigneurie ; de mettre en régie leur perception et leur emploi aux réparation des passages, ponts, chaussées et chemins publics. Même si le produit est insuffisant, de faire répétition des deniers antérieurement perçus et de saisir les autres biens temporels des concessionnaires.

On note à période régulière, une volonté plus cœrcitive de re-destiner le produit des péages à leurs objectifs initiaux. Exemple :

 

Les dons pieux

(Ref tome 1 - p5)

Au Moyen-Âge, au moment où l’anarchie féodale était à son apogée, des pèlerinages réunissent à époque fixe autour de sanctuaires vénérés une foule pieuse, venue des contrées circonvoisines, quelques fois même de tous les points de la chrétienté. Aux vues des dangers et fatigues subies par les pèlerins, des quêtes, des fondations œuvrent pour leur venir en aide. Progressivement les ponts sur les grandes rivières, l'organisation de bacs, la mise en place d'hopitaux à proximité des rivières furent alors objet de leur préoccupation.
Les constructions de ponts devinrent alors des œuvres méritoires de piété et de charité au même titre que la construction d’églises, ou de se dévouer au service des malades.
Pour ces ponts, il fallait des constructeurs : Frères Pontifs , ou Frères des Ponts, est fondé en XIIème siècle (ou peut-être même avant) : pontifex = constructeur de ponts, pontificare = faire un pont. Cet Ordre (est-ce un ordre unique ?) trouve son éclat au commencement du XIIIème.

 

Le denier à Dieu

(Exemple : En 1346)
Des deniers, prélevés par les marchands qui faisaient commerce, transport et emploi de métaux précieux, étaient mis à profit pour faire et soutenir ponts, chaussées et autres passages, mais bien sûr souvent détournés.

 

Les ressources royales

Pour certains ponts, chaussées ou autres ouvrages, le roi en assura le financement direct, ou décida de levées spéciales de deniers dans les localités qui en profitaient. Le roi pouvait aussi se limiter à une subvention, mais le principal des ressources étaient apportées par les communautés d’habitants.

 

Les ressources « privées »

Avant le XIXème siècle ce type de financement n’est pas courant. On note sous Richelieu (1632) les premières initiatives officielles de particuliers, pour exécuter certains ouvrages à leurs risques et périls, moyennant la concession de certains avantages.
L’ouvrage en référence en site quelques exemples, principalement pour la construction de canaux ou la viabilisation de cours d’eau :

Construction du canal de Briare

En 1638, le canal de Briare, dont la construction avait été interrompue par le décès de Sully, son principal promoteur, a été repris par les sieurs Guillaume Bouteroue et Jacques Guyon, moyennant concession de la propriété du canal à perpétuité. Les concessionnaires prennent alors à leur charge le dédommagement des propriétaires expropriés pour la construction dudit canal. Enfin ils recevront à perpétuité un péage sur toutes les marchandises transportées sur ce même canal.

Viabilisation de l’Ardèche

En 1643, en échange des travaux nécessaires à rendre l’Ardèche navigable, la marquise de Montlor obtint exemption de tous péages pour le transport de ses marchandises, et concession pendant 15 ans d’un péage sur toutes marchandises empruntant ce moyen de transport.

Viabilisation de la Loire de Roanne à Saint-Rambert

(Ref tome 1 - p15)
Nous notons la concession accordée le 23/05/1702 à Pierre de la Gardette. Les dépenses sont estimées à 716 000 liv (soit 1 116 960 F) et à 12 000 liv (18720 F) par an d’entretien, mais obligation de terminer les travaux en 1706.
En échange, le concessionnaire obtient les droits de péage à percevoir sur toutes les marchandises usant la nouvelle navigation, ainsi que le droit de faire ouvrir et exploiter les minières de charbons de terre hors et au delà d’une lieue autour de la ville de Saint-Etienne. Cette concession échappa au décret de double droit de 1709.

Viabilisation de l’Eure de Chartres à Pont-de l’arche.

(Ref tome 1 - p15)
En Octobre 1704, un édit accorda à Madame de Maintenon cette concession. En échange des travaux rendant l’Eure navigable sur la tronçon ci-contre, elle bénéficiait de droit équivalent à ceux du canal de Briare –voir plus haut)

Viabilisation du Clain de Châtellerault à Poitiers et de Poitiers à Vivonne

(Ref tome 1 - p15)
Cette concession est accordée le 24 Mars 1708 à Madame Marchand de la Mulnière (supérieure de l’Union chrétienne de la ville de Luçon).

Droit de boëte

(Ref : tome 1 – p31, tome 2 - p 97, 151)
Sur la Loire et ses affluents, la navigation a existé aussi de temps immémorial et n’a pu être interrompue. Mais le régime féodal y avait apporté de nombreuses entraves et les franchises et libertés accordées « aux marchands fréquemment et marchandant sur ledit fleuve « et autres rivières y chéant et descendant » étaient sans cesse mises en péril par les prétentions et les exactions des seigneurs. Ces marchands, obligés de soutenir et fréquents et dispendieux procès pour « garder et défendre ces franchises », profitent en l’année 1402 de la foire qui se tient au temps de Pâques à Orléans pour se réunir et délibérer à ce sujet. Ils conviennent de demander au roi l’octroi de subsides qu’ils lèveront sur leurs bateaux et marchandises et qu’ils emploieront aux frais de leurs instances. Cet octroi leur est accordé pour 4 ans par lettres patentes le 23/5/1402. Il fut ensuite renouvelé régulièrement malgré tout la circonstance s’ouvre désormais aux réparations à faire dans les dites rivières pour la sûreté et conduite de leur bateaux, et des dépenses pour l’entretien de navigage.
Les droits ainsi perçus se recueillaient dans des boëtes placées en certains lieux déterminés sur les bords de la rivière, et le produit de chacune était donné en bail, dans l’assemblée d’Orléans, au plus offrant et dernier enchérisseur.
Ce mécanisme fut autorisé de déploiement sur d’autres rivières navigables en Mars 1498.
Les droits de boëte sont supprimés à compter du 18/10/1764.
Désormais les travaux seraient exclusivement faits au moyen d’adjudications passées sur les devis des ingénieurs, dressés par canton.

La taille

Les tailles, contributions directes et foncières, rendues perpétuelles en 1440 ne paraisse pas avoir fortement contribué à la contribution foncière. Le premier exemple publié dans l’ouvrage remonte à 1598, d’une lettre patente du 7/2/1598 ordonne pour financer la construction du pont neuf à Paris (commencé en 1578 par décret du 16-3-1578) une imposition d’un sol par livre du principal de la taille, sur les généralités de Paris, Chalons, Amiens et Orléans.