Loi du 30 Juillet 1880 sur le rachat des concessions de ponts à péage

Références :

1 - Cours de droit administratif (6ème édition) - 1881 - Théophile Ducrocq par Ernest Thorin à Paris, Tome 2 - p128-130.

La construction et la gestion des ponts suspendus à péage furent manifestement une activité commerciale très rentable, et la mise en place d'aussi nombreux ouvrages sur une durée aussi courte (20 ans à peine) montre que les hommes d'affaire n'y étaient pas dupes - les archives Seguin mettent en évidence les bénéfices réalisés.

L'Etat prit conscience toutefois de l'entrave à la circulation des biens et des personnes que cette méthode de financement et de rétribution entraînait.
Plus spécifiquement le principe de péage s'oppose à "la liberté d'aller et venir", principe de valeur constitutionnelle (Constitution de 1946, repris par celui de la Constitution de 1958).

Des décrets spécifiques avaient déjà autorisé les rachats de concession avant 1880, et donc ceux-ci avaient déjà commencé (par exemple, Pont Masarik (Lyon-Vaise) à Lyon - rachat en 1865, ou Pont de Guipry en 1861, Pont de Cubzac à Lyon - rachat en 1866,), mais l'Etat dénombrait en 1873 encore 400 ouvrages à péage et donc seule une loi pouvait rapidement venir à bout de la résistance des concessionnaires à l'expropriation. Il fallut donc définir une extension du cadre de l'expropriation d'utilité publique et interdire cette pratique pour les nouveaux ouvrages, tout en maintenant les conditions de progrès pour l'infrastructure de transport, nécessaire à son développement, tels sont les objets de la loi du 30 Juillet 1880.

En fait le principe des péages sur les "passages" est hérité de l'Histoire, et se trouvait être une source de revenus et de pouvoirs des nobles et des institutions comme par exemple les Hospices Civils à Lyon. On dénombrait encore en 1870, 1348 péages de ce type appliqués sur les bacs et bateaux de passage (selon les mêmes références). Toutefois à l'inverse des ponts, la loi du 6 Frimaire An VI avait transféré les charges et la jouissance de ces dispositifs à l'Etat. L'Etat en avait tiré un revenu de 267 000 francs, mais cette somme était absorbée par les charges de personnel et d'entretien requis spécifiquement pour leur mise en oeuvre.

Pour les usagers, l'impact de la loi du 30 Juillet 1880 sur le rachat des concessions leur donnaient de fait un usage gratuit de l'ouvrage dès le rachat de la concession.
Dans les faits l'application de cette loi s'étala sur plus une durée supérieure aux huit ans prévus par la loi.

Bien sûr, cette loi eut un impact fort sur les professionnels impliqués dans la mise en oeuvre des ponts : de "investisseurs/concessionnaires", ils devenaient constructeurs pour le compte de l'Etat. L'enjeu économique n'était plus le même.

A dater de cette loi, plus de 400 concessions de ponts (tout types confondus, tels que dénombrés par le resencement de 1873) furent rachetées. L'investisseur pour les nouveaux ouvrages devint exclusivement l'Etat, les départements, et les communes.

Cette loi de 1880 interdisant de fait toute rémunération, elle empêchait toute implication privée dans la construction d'ouvrage, et donc privait l'Etat d'une source utile de financement notamment pour les grands projets. Elle fut donc elle-même abrogée, et remplacée par un texte adapté aux exigences modernes par les Loi n° 79-591 du 12 juillet 1979 sous la présidence de V. Giscard d'Estaing, puis complété par la loi n 89-413 du 22 juin 1989.

Texte complet extrait du document en référence

Ponts.
Etablis, avec ou sans péage, sur les fleuves, canaux de navigation, rivières navigables ou flottables ,les ponts font partie du domaine public national, à moins qu'ils ne se trouvent dans le parcours des voies appartenant au domaine public départemental on communal (L. I~ floréal an X, art. Il). Les préfets ne peuvent, sans excès de pouvoir, autoriser l'établissement de ponts sur les rivières navigables, sans que les projets aient été soumis à l'enquête prescrite par l'ordonnance du 23 août 1893 et approuvés par l'administration supérieure (Arrêté du 19 ventôse an VI; C. d'Et. 27 mai 1863, Delahaye )

La suppression des entraves à la circulation résultant de la nécessité d'un péage est depuis longtemps l'objet des légitimes pré­occupations des pouvoirs publics. De nombreux décrets en cas d'accord de l'État et des concessionnaires ont consacré le rachat. Mais le nombre des ponts établis selon ce système pour le service soit de la grande, soit de la petite voirie, et dont la concession n'avait pas pris fin, était encore en 1880 d'environ 400, et une loi seule pouvait briser la résistance des concessionnaires en les expropriant. Une loi du 30 juillet 1880 est venue déterminer le mode de rachat des ponts à péage, en comblant une lacune de la législation; elle fait aux concessionnaires des droits de péage, c'est-à-dire de droits purement mobiliers, une application du principe de l'expropriation pour cause d'utilité publique, en dehors de la sphère d'application, restreinte aux immeubles de la loi du 3 mai 484. Cette loi avait été d'abord soumise au Sénat en quatre articles seulement; mais le projet d'initiative gouvernementale fut renvoyé par la Chambre des députés, sur la demande du gouvernement, à une commission déjà saisie d'une proposition d'initiative parlementaire ayant pour objet de créer les ressources applicables au rachat. Cette commission réunit les deux projets de loi en un seul, et, considérant qu'il serait illogique de grever les finances de l'Etat pour le rachat des péages existants et d'en laisser établir de nouveaux, elle a posé en principe dans l'article 1er l'interdiction d'établir de nouveaux ponts à péage. Ce sont ces deux projets réunis et modifiés qui sont devenus la loi du 30 juillet 1880 en sept articles. Elle a été immédiatement suivie d'une circulaire du 30 juillet rendue par le ministre de l'intérieur pour son exécution (Bull. off. minist. intér. 1880, p. 252 à 257)

Loi du 30 juillet 1880, ayant pour objet de déterminer le mode de rachat des ponts à péage:

Article Détail
art. 1 Il ne sera plus construit à l'avenir de ponts à péage sur les routes nationales ou départementales. En cas d'insuffisance des ressources immédiatement disponibles pour la construction des ponts dépendant de la voirie vicinale, il pourra y être pourvu par les départements et les communes intéressés, au moyen d'un emprunt à la caisse des chemins vicinaux
art. 2 Le rachat de la concession de tout pont à péage dépendant de la grande ou de la petite voirie peut être autorisé et déclaré d'utilité publique, par décret rendu en conseil d'État après enquête. L'enquête a lieu dans les formes déterminées par l'ordonnance du 18 février 1834
art. 3 A défaut d'arrangement amiable, si les droits du concessionnaire ne sont pas réglés, soit par le cahier des charges, soit par une convention postérieure, l'indemnité à allouer pour le rachat de la concession est fixée par une commission spéciale instituée et composée comme il suit : cette commission est instituée par décret et composée de trois membres, dont un désigné par le préfet, un par le concessionnaire, et le troisième par les deux autres membres. Si ces deux membres ne parviennent pas, dans le mois qui suivra la notification à eux faite de leur nomination, à se mettre d'accord sur le nom du troisième, il sera procédé à sa désignation par le président du tribunal de première instance du chef-lieu de département dans le ressort duquel le pont est situé. Le choix ne pourra être fait que parmi les personnes désignées par le conseil général pour la formation du jury d'expropriation pour cause d'utilité publique dans les divers arrondissements dont le département se compose. Lorsque le pont est établi sur un cours d'eau servant de limite à deux départements, la nomination est faite dans les mêmes conditions par le président du tribunal de première instance du chef-lieu de celui des deux départements qui devra être désigné par le décret déclarant l'utilité publique du rachat. Le même décret désignera celui des préfets qui devra faire la nomination prévue par le second paragraphe du présent article
art. 4 L'indemnité allouée doit être payée ou consignée avant la prise de possession du pont
art. 5 Les actes de toute nature faits en vertu de la présente loi seront dispensés du timbre et enregistrés gratis, lorsqu'il y aura lieu à la formalité de l'enregistrement
art. 6 Les ponts à péage établis sur les routes nationales seront rachetés dans un délai de huit ans, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi. Pour déterminer l'ordre de priorité des rachats, il sera tenu compte du concours offert par les départements, les communes ou les particuliers
art. 7 Il pourra être accordé sur les fonds de l’Etat, pour le rachat des ponts à péage dépendant des routes départementales ou des chemins vicinaux de toute catégorie, une subvention dont le maximum est fixé à la moitié de la dépense. Ce maximum est réduit à un tiers pour les rachats des ponts à péage situés sur les routes départementales, dans les départements où le produit du centime additionnel au principal des quatre contributions directes est compris entre 20,000 et 40,000 francs, et à un quart dans les départements où il est supérieur à 40,000 francs. Il ne sera accordé aucune subvention pour le rachat des ponts à péage qui seraient construits sur les chemins vicinaux après la promulgation de la présente loi