L'implication de l'Etat dans l'émergence d'une infrastructure modernisée

Références :

1 - Les Dynasties Lyonnaises - 01/11/2003 - Bernadette Angleraud, Catherine Pellissier par Perrin -> Accès source - p29.
2 - La Révolution Industrielle - 1997 - Patrick Verley par Gallimard - Folio Histoire - ISBN - 2-07-032769-8
3 - Les Ponts Modernes - 18EME-19EME siècles - 1990 - Bernard Marrey par Picard

Sans être réellement actif dans l'explosion constatée de constructions de pont, l'Etat réunit les conditions pour la rendre possible en encourageant toutefois les investisseurs à s'impliquer activement dans ce mouvement, en prenant modèle sur l'Angleterre, et en leur garantissant des revenus sans risque.

L’implication de l’Etat dans la régulation des coûts des bacs, et dans l'établissement d'une infrastructure cohérente

Bien qu’une première loi du 28 mars 1790 exceptait de l’abolition des droits féodaux ceux des bacs et voiture d’eau, 2 ans plus tard, une nouvelle loi mit fin à cette exception et déclara :
« Il sera libre à tous citoyens de tenir sur les rivières et canaux des bacs, coches ou voitures d’eau, sous les loyers et rétributions qui seront fixés et tarifés par les directions des départements. »
Mais cette disposition prit fin à son tour par la parution de la loi du 6 Frimaire an VII (26 Novembre 1798) qui pose explicitement le principe que tous les bacs établis sur les fleuves, rivières ou canaux navigables doivent être concédés par l’Etat.

De fait par cette loi, l’Etat détenait le monopole des bacs et du même coup, des tarifs appliqués !
Il fut rajouté par la loi du 14 Floréal an X (4 Mai 1802), que « le gouvernement … déterminera pour chaque département le nombre et la situation des bacs ou bateaux de passage ». Cette même loi fixera les conditions d’établissement de ponts à péage : « Le gouvernement autorisera … l’établissement des ponts dont la construction sera entreprise par des particuliers : il déterminera la durée de leur jouissance, à l’expiration de laquelle ces ponts seront réunis au domaine public, lorsqu’ils ne seront pas une propriété communale. Il fixera le tarif de la taxe à percevoir sur ces ponts. »

A cette époque, ceci donna une réelle autorité à l'administration des Ponts et Chaussées, elle-même fortement soutenue par le corps des Ponts, grand ordonnateur de l'infrastructure du système de communication français, mais avec une grande limitation du fait de l'absence de moyens financiers pour réaliser celle-ci.

L'appel à l'investissement privé pour permettre la mise en place d'une nouvelle infrastructure

Vers 1820, l'administration française prit conscience de ses lacunes et examina le modèle anglais avec autant d'intérêt qu'il démontrait son extraordinaire efficacité.

Les missions vers l'Angleterre furent nombreuses, malgré le contexte géopolitique était tendu : c'était notamment la période suivant celle du blocus napoléonien, où les Anglais interdisaient l'exportation de machines vers la France - cf. (1) ou (2) qui mentionne que la politique britannique visait, au début, au secret technologique. La loi de 1719 interdisait déjà l'émigration des artisans et ouvriers; elle allait rester en vigueur jusqu'en 1825. L'exportation de machines fut interdite jusqu'en 1843. !)

Bernard Marrey rajoute dans son livre (3), que le comte d'Argout, ministre du Commerce et des Travaux Publics, adresse le 24 Aout 1831 une circulaire aux préféts : Afin de donner de l'ouvrage aux ouvriers, elle leur enjoignait d'examiner avec les ingénieurs en chef du département, quels étaient les bacs, qui, à raison de leurs produits, pourraient être remplacés par des ponts ... et d'aller au devant (des "spéculateurs")..., d'éveiller leur attention sur les projets dont l'exécution pourrait avoir des avantages pour eux".

Il s'en suivit une préférence donnée au principe de concession (investissement privé en échange d'un droit d'exploitation (péage) et un devoir de service rendu), aux dépends de l'affermage, (où l'ouvrage public était construit sous finance publique et seulement exploité sous seing privé). Il est évident que ce principe de concession ne sollicitait pratiquement plus les finances publiques (tant à la construction qu'à l'exploitation), tout en laissant le contrôle de l'évolution de l'infrastructure publique sous contrôle total de l'Etat.
Vu des investisseurs, l'Etat leur garantissait les conditions d'un retour sur investissement rapide.
La durée de la concession (très souvent, au début, de 99 ans, voire illimitée (cas du Pont de Frontenex ), puis progressivement plus courte) minimisait fortement le risque.

Dans ce type de contrat, le concessionnaire prend à sa charge le maintien opérationnel de l'ouvrage quelque soient les conditions :

Pour déployer ce dispositif en toute transparence, la mise en place de la procédure d'enquête et d'adjudication publique, Arrêté du 19 ventôse an VI (9 Mars 1798) complétée par l'ordonnance du 18 février 1834 , se généralisa :
Les premiers décrets royaux de construction d'ouvrages (exemple celui de Tournon en 1825, celui de Decret 16/05/1827 - Pont à Vogüé sur l'Ardèche ou encore celui de Decret 09/06/1830 - Pont aux Georgets sur la Durance ) précisent le concessionnaire, tandis que les suivants ne concernent que l'autorisation de réaliser une enquête publique. Cette procédure s'installa progressivement en France.

Pour finir et faciliter la construction d'ouvrages, l'Etat de dote d'un nouvel outil : en 1841 est promulguée une loi sur l'expropriation pour cause d'utilité publique.

Le retour des droits fondamentaux des citoyens

Le fait que le passage d'un pont fut conditionné par l’acquittement d’un péage fut rapidement considéré comme une entrave de principe à l’expression de la liberté de circulation des hommes et femmes (Principe des droits de l’homme). Une décision intervint en 1880 donc à l’assemblée des Députés pour contrevenir ce point et rendre gratuit l’utilisation de ces ouvrages. L’Etat devint seul propriétaire des ponts en en finançant la construction par l’impôt et la dette publique. Pour plus de détail sur cette Loi du 30 Juillet 1880 sur le rachat des concessions de ponts à péage . Cette application stricte des principes des droits de l’homme avait pourtant ses limites, notamment dans le financement des ouvrages à caractère exceptionnel. Il fut donc voté sous la présidence de V. Giscard d’Estaing en 1981, une nouvelle loi permettant exceptionnellement à l’Etat de faire appel aux capitaux privés pour le financement d’ouvrage particuliers (tel que le pont de l’Ile de Ré).