Histoire et faiblesses des technologies utilisées pour la construction des ponts suspendus

Références :

1 - Cours de ponts métalliques - 1922 - Jean Resal par Librairie polytechnique Ch. Béranger à Paris et Liège, Tome 2 - Ponts en arc et ponts suspendus

Lors de leur introduction en France grâce à l'invention de Marc Seguin, les ponts suspendus en fil de fer présentaient trois faiblesses principales que nous développons ici:

 

Longueur maximale des travées trop limitée

Extrait du livre de Jean Resal – (1) .

Depuis l’invention des ponts suspendus en fil de fer, il s’est écoulé plus d’un demi-siècle avant que l’on découvrit un procédé pratique et sûr pour assembler bout à bout sans diminution de résistance deux câbles se faisant suite. Pour éviter des joints défectueux, on a été conduit à employer des câbles continus de l’un à l’autre puits d’amarrage, quelle que fût la longueur du pont. Il a fallu fabriquer ces câbles sur le chantier même, dans un emplacement qui permit de les soulever pour les mettre en place. On conçoit que dans ces conditions, il fut difficile de redresser vigoureusement des fils que l’on apportait enroulés en couronnes pour en permettre le transport depuis la tréfilerie et aussi de les mettre en parallélisme parfait. D’autre part la traction exercée sur le fil d’entourage, pendant son enroulement ne pouvait donner lieu qu’à une pression assez faible sur la périphérie du faisceau. Si leur parallélisme n’est pas rigoureux, il y a grande chance pour que la répartition de l’effort total de traction entre les éléments du faisceau soit irrégulière et pour que la fatigue varie notablement d’un fil à l’autre .

L'impact immédiat de cette contrainte était la limitation des longueurs des travées, et bien sûr l'augmentation du nombre de piles.

 

Des mouvements oscillatoires dangereux

"On sait que les ponts suspendus flexibles sont sujets à prendre un mouvement oscillatoire sous l’influence d’actions dynamiques, telles que le passage en vitesse d’une surcharge mobile, ou par l’application presque instantanée d’une charge statique. L’oscillation s’amortit toujours avec une grande lenteur. Si l’action dynamique qui lui a donné naissance se renouvelle à plusieurs reprises, il y a superposition des effets produits par les impulsions successives, et le mouvement s’amplifie : passage en vitesse de plusieurs véhicules se suivant sur le pont, marche cadencée d’une foule ou d’un troupeau, rafales de vent, etc. Or l’oscillation donne lieu à un accroissement de la tension du câble et, par suite, à une aggravation du travail élastique, dans une mesure à peu près proportionnelle à l’amplitude du déplacement vertical. Si cette amplitude devient très grande en raison des effets concordants de plusieurs impulsions consécutives, la stabilité de l’ouvrage en souffre. C’est à cette cause qu’il faut imputer bien des ruptures de ponts suspendus, qui ont souvent donné lieu à des catastrophes déplorables : les plus notables furent celle de Brighton en 1831, et puis celle qui ébranla la confiance des investisseurs et utilisateurs en France à Pont Basse-Chaîne (Angers) .
L’expérience prouve que l’adjonction au câble d’une poutre de rigidité exerce une influence favorable et très marquée sur les mouvements oscillatoires. En premier lieu, leur amplitude est considérablement diminuée. Mais on constate de plus que la durée de l’oscillation complète est abrégée. L'adjonction de ces poutres de rigidité fut un apport essentiel de Ferdinand Arnodin .

 

Une corrosion mal maîtrisée des suspensions en fer

Cette difficulté a très tôt été considérée comme cruciale, et Marc Seguin proposa une première méthode que Louis Vicat décrit méticuleusement dans son ouvrage : ce procédé de protection des câbles contre la rouille qui accompagnait la préfabrication des câbles sur site, fut donc dicté par Seguin, et consistait en un ébouillantage dans une huile de lin, suivi d'un laquage des câbles.

Nous pouvons aussi nous référer au cours de Jean Resal (1) :

"Un autre défaut, et non des moindres, à inscrire au passif de ce type de câble, est qu’il se défend mal contre la corrosion par la rouille. Le seul moyen de contrer efficacement cette nuisance consiste dans l’emploi d’un goudron préalablement désacidifié par addition de chaux vive. Mais il faut un entretien très rigoureux pour assurer l’étanchéité de cet enduit qui fond et coule en été, et peut se craqueler en hiver… Dés que la rouille a fait son apparition, les ravages sont considérables et rapides. De nombreux ponts suspendus ont péri de cette façon et parfois après une assez courte existence.

Ce phénomène était aggravé par les lenteurs de l'administration : entre la détection du problème et sa correction, il pouvait s'écouler quelques dizaines de mois suffisants pour rendre le pont extrêmement dangereux voire aller jusqu'à son affaissement complet.

Pour tenter de limiter cette nuisance, La tréfilerie de Ferdinand Arnodin à Châteauneuf-sur-Loire, avait innové et appliquait sur les câbles du coaltar désacidifié par contact avec de la chaux vive, que l’on épure et que l’on additionne de graphite en poudre.

 

Des interventions très pénalisantes pour la disponibilité de l'ouvrage

Dans les anciens ponts suspendus, la dépose d’un câble à fil parallèle, souvent de fort diamètre et de grande longueur exigeait des installations compliquées et un outillage puissant. La circulation était interrompue pendant la réparation du câble jusqu’à sa repose. Aussi se résignait-on à cette opération que lorsqu’on la jugeait indispensable et urgente, et l’ignorance où l’on était de la détérioration d’un câble ou les lenteurs administratives à prendre une décision ont souvent conduit à des catastrophes. Il arrivait même que pendant les essais réglementaires d’un ouvrage que l’on croyait remis en état, des câbles se sont rompus. Brefs des accidents trop nombreux ont pendant une période assez longue discrédités ce type d’ouvrage qui a été abandonné pendant nombre d’années.

Le principe de l’amovibilité des câbles dont Ferdinand Arnodin a été le promoteur et l’apôtre, permet aujourd’hui l’entretien des ponts suspendus dans d’excellente conditions grâce à quoi l’on peut espérer que leur longévité sera dans l’avenir tout au moins égale à celle des ponts à charpente métallique."