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Pont d'Elbeuf 

Pont d'Elbeuf - 1843

Fleuve franchi : la Seine, département : Seine-Maritime, à proximité : Elbeuf
Type d'ouvrage : Pont suspendu en fil de fer
Architecte(s) : Marc Seguin et freres ,Compagnie(s) : Seguin freres .
Longueur totale : 430m , Plus grande portée : 160m
Décret, le : 24/6/1840 - Ouverture au public : 5/1/1843 - Durée concession : 49 ans - Coût de construction : 343000 Fr
Version du texte : V1.2, Niveau de fiabilité : excellent

Plan

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Références :

1 - Bulletin des lois - 1840 du 24/6/1840
2 - Mémoire sur l'histoire de la presse d'Elbeuf - Alexandre Hautecoeur

Préambule

Ces informations sont directement extraites du Mémoire sur l'histoire de la presse d'Elbeuf (1833/1847) d'Alexandre Hautecoeur et sont publiées avec l'autorisation de l'auteur. L'intégralité du mémoire est disponible par téléchargement, pour de plus amples informations sur Elbeuf durant cette période, extraites de la presse locale. Elbeuf est une commune de Seine Maritime située sur la Seine au sud de Rouen.

Le projet

L'Industriel Elbeuvien (journal hebdomadaire local) nous apprend que dans les années 1835-1838, un projet de pont suspendu a vu le jour à Elbeuf, mais tout le monde le voulait près de ses propriétés, sauf le " vieil Elbeuf " (quartier Saint-Etienne) formellement opposé à cette idée. En effet, les habitants de ce dernier prônaient la construction de la route de Oissel ayant les mêmes avantages et surtout permettant d'aller à Rouen " sans forêt et sans côte ". En revanche, les quartiers Saint-Jean, Maurepas et du Calvaire se disputeront le droit d'être en face du pont . Le projet sera annulé par manque de moyen. Cependant un nouveau projet voit le jour en 1839. Les frères Seguin en sont à l'origine et ce dernier est approuvé par l'administration des Ponts et Chaussées. Ils sont donc renvoyés au ministère de l'intérieur pour qu'ils poursuivent auprès du Conseil d'Etat l'enregistrement du cahier des charges.
L'Industriel elbeuvien est très favorable à cette idée, il espère que " le quartier Saint-Etienne fera tout pour faire concorder le pont à la réalisation du prolongement de la rue de l'Hospice car il deviendrait ainsi l'un des accès les plus fréquentés pour aller au pont ".

Nous venons de le voir, ce journal est un farouche défenseur de ce projet. Dans l'un de ses numéros , il va faire " un résumé exact des opinions individuelles des conseillers municipaux ". 16 sont pour l'utilité du pont :

8 sont contre, mais si le projet aboutit, ils sont favorables pour la rue Saint-Jean.

Sur 235 électeurs communaux (210 ont fait enregistrer leur opinion sur le livre d'enquête):

Selon lui, et surtout d'après le " sondage ", le conseil doit approuver le projet.
La pression démographique est telle, que Elbeuf doit s'agrandir. Elle le peut du côté de Caudebec, mais dans ce cas la ville s'allongerait, alors que si elle s'étendait sur deux rives, elle s'arrondirait, ce qui serait plus pratique. Le but étant de concentrer les habitations.
Une commission a été nommée par le conseil municipal pour examiner, le projet. Cependant, il est connu de tous, et cela, selon l'Industriel elbeuvien fait perdre du temps. En réalité, elle a pour but de donner un avis du droit de péage au préfet .
Ce même journal va s'insurger contre cette dernière car elle s'est prononcée contre la construction du pont . Le conseil municipal va tout de même reconnaître l'utilité " sinon générale, mais au moins locale " du pont.
Le péage, d'après la commission devrait rapporter entre 18 000 et 20 000F par an, et la construction reviendrait à 343 000F (moins les souscriptions). " Ce projet ne peut être qu'un succès " . Le vote a été difficile. Victor Grandin favorable à un pont au bout de la rue de Paris s'oppose à Lefort-Henry. " L'utilité publique " a été refusée à seize voix contre cinq et " l'utilité locale " approuvée à l'unanimité des présents.

Ce dernier a reçu la sanction du Conseil d'Etat, et, sur le rapport favorable du Ministre de l'Intérieur il a été présenté à la signature du Roi. Dès que le projet sera " définitivement ordonné ", les pièces seront envoyées à la préfecture pendant deux mois, puis il sera fait publiquement adjudication pour sa construction. De nouveaux débouchés s'offriront donc à la ville.

En 1840, " cela fait maintenant cinq ans que la question du pont est à l'ordre du jour " . Toujours selon l'Industriel elbeuvien, plus une ville a de communications, " plus elle a de débouchés et donc elle y trouve développement et prospérité " . Le conseil municipal ne l'a pas déclaré d'utilité générale (car il n'a jamais eu pour objet de desservir un point d'utilité général), mais il s'est prononcé pour l'utilité locale. Les opposants ont peur d'une émigration de l'industrie vers Saint-Aubin. L'auteur de l'article explique qu'en fait, la construction donnera du travail aux chômeurs et que les manufactures de Saint-Aubin sont en retard par rapport à celles d'Elbeuf.

Un quatrain sur la division des Elbeuviens sur le sujet, va être diffusé en ville en juin 1840 :
Pour satisfaire à tous les vœux émis,
Trois ou quatre ponts pourraient suffire à peine,
Et ce pendant tout chacun se démène,
Tous s'agitent et deviennent ennemis.

L'adjudication a lieu le 26 mars 1841 . Deux soumissionnaires sont présents. Charles Levasseur sera le constructeur moyennant la récupération du péage durant quarante neuf ans . L'adjudication du pont sera approuvée par le ministre en mai 1841, soit un peu plus d'un mois après . En réalité, Charles Levasseur s'associera avec les frères Seguin . Le premier en tant que financier et les seconds en tant qu'entrepreneurs (ce sera leur soixante quinzième pont).

La construction du pont

Les travaux commencent en septembre 1841. Les Elbeuviens sont informés de leur avancée par la presse. Mais ils découvrent surtout, les problèmes posés par ces derniers, et notamment les habitants du quartier Saint-Jean. Un avis du maire d'octobre 1841 leur explique que la construction d'une rampe d'accès et d'un aqueduc recevant toutes les eaux de la voirie va rendre la circulation impossible au bout de la rue Saint Jean sur une surface de 9m sur 92. Les véhicules venant du port seront déviés rue des Bains ou rue de la Seine. Le journal critique déjà les Ponts et Chaussées car il pense que les ouvriers payés à la tache sont plus efficaces que ceux payés à la journée, or, ce sont ces derniers qui travaillent sur le pont. De plus, selon lui, le pont doit être éclairé la nuit, mais cela n'est pas prévu .

Un autre sujet va intéresser de près l'Industriel elbeuvien. En effet, les habitants de la rue Saint-Jean ont eu à choisir entre " une chaussée pleine avec glacis et une rampe d'accès étroite ". La municipalité tente de les convaincre, pendant deux mois, de choisir la rampe d'accès, mais rien n'y fait, ils préfèrent la première solution.
Malheureusement pour eux, la chaussée pleine est abandonnée car pour les entrepreneurs, les " riverains se sont déclarés trop tard " . L'Industriel elbeuvien vente alors les mérites des " rues basses ". Même si elle crée des obstacles pour la circulation, elle a l'avantage de ne pas poser le problème de l'écoulement des ravines (contrairement aux chaussées pleines).
Pour ces dernières, il faudrait diviser les eaux avant la naissance de la rampe et les accueillir dans deux aqueducs liés à l'aqueduc principal . Le conseil municipal approuve la décision de l'entrepreneur de refuser la chaussée pleine, fin novembre 1841, par douze voix contre neuf .
Curieusement l'Industriel elbeuvien devient un farouche défenseur de la chaussée pleine (Mathieu Bourdon est partisan de cette solution et la Gazette d'Elbeuf contre). Il critique ce vote, car les rues basses ne feront que 6m de largeur, ce qui est très peu lorsque l'on sait que c'est par-là que se font les communications entre les quais et le port . Nous avons ici, encore un bel exemple d'intégrité de ce journal.

Il va ensuite s'inquiéter de la solidité du pont, il apprendra aux lecteurs qu'il ne sera livré aux utilisateurs qu'après les tests du 2, 3 et 4 janvier 1843 . La Gazette d'Elbeuf pense qu'il est " susceptible d'être utilisé pour servir de tête de chemin de fer d'Elbeuf à Tourville ".

Le prix du péage est fixé dès la fin 1842.

Tarifs de passage du pont suspendu.

Le prix du péage est fixé dès la fin 1842.

Une personne (à pied, à cheval, en voiture) 5c
Cheval ou mulet chargé ou pas 10c
Bœuf ou vache 5c
Mouton, brebis 1c
Voiture suspendue attelée d'un cheval 30c
Voiture suspendue attelée de deux chevaux 60c

L'Industriel elbeuvien publie ces tarifs en ajoutant les personnes qui ne paieront pas : le préfet, les sous-préfets, les ingénieurs et conducteurs des ponts et chaussées, les employés des contributions indirectes, les agents forestiers, les préposés aux douanes, les militaires, les malles postales, les facteurs et les prévenus conduits par la force publique . Le journal a ici un rôle informatif.

Inauguration et premiers problèmes

Le jeudi 5 janvier 1843, après plus de deux ans de travaux le pont est inauguré. L'ensemble de l'ouvrage mesure 430m pour une largeur de 6,70m (le grand pont 161,60m et le petit 40m, à ceci il faut ajouter les rampes d'accès et la chaussée). Il devrait voir passer environ mille personnes par jour . Chaque moitié du pont est bénie par des prêtres de Saint-Aubin et d'Elbeuf. La fête se termine par un banquet de cent couverts .

Cependant la Gazette d'elbeuf émet les premières critiques de la disposition des ruisseaux. En effet, il pleuvait le jour de l'inauguration et " la maladroite disposition des ruisseaux qui encadrent la chaussée" a inondé la rue Saint Jean. Il fallait " pour s'y rendre, marcher sur une planche de bois ".
"Mais peut-être ce grave inconvénient a-t-il passé inaperçu ; car à la suite de l'inauguration […] comme la pluie tombait fortement, les entrepreneurs et les architectes pressaient le pas vers la salle. Le pont était reçu ". Les eaux ne sont pas canalisées. Les ruisseaux existants, au lieu d'être dirigés sous le pont ont été laissés comme tels.

De plus dès le début du fonctionnement du pont, ce journal a reçu plusieurs plaintes contre les deux employés chargés de percevoir les droits de péage. Ils seraient malpolis et surtout malhonnêtes. L'un d'entre eux ferait doubler voire tripler le prix la nuit et ne laisserait pas passer tout le monde.
La Gazette d'Elbeuf fait remarquer que sur beaucoup de ponts, le passage est gratuit après minuit . Dans le même numéro, une lettre d'un lecteur critique fermement l'architecture du pont. Selon lui, la vallée risque d'être inondée.

La suite des évènements va lui donner raison. En février, la fonte des neiges a provoqué l'entrée " de grosses eaux dans la rue Saint-Jean " mardi 21 au soir entre dix-sept et dix-neuf heures, l'un des ponts accessoires par lequel " on arrive au pont principal a été déraciné. Pour y accéder, il va falloir faire preuve d'une grande aptitude à la natation " . Cet incident sera sans suite.

Le pont va prendre une place importante dans la vie des Elbeuviens. Malgré quelques problèmes il leur permettra de gagner du temps pour passer de la rive gauche à la rive droite. La presse a joué plusieurs rôles à ce sujet, informatif (tarifs de passage, avis de travaux) mais aussi et surtout critique (sur la construction…).
Cependant, il faut une fois de plus rappeler que leurs lecteurs sont des gens aisés et que la masse n'y a que très rarement accès. Le Conseil municipal aura par la suite quelques problèmes avec le sieur Levasseur.

La presse elbeuvienne traduit bien les aspirations de la ville au début de la croissance démographique. Aérer la ville ne perçant des rues, développer des moyens de communication en luttant pour obtenir une gare… Cependant cet épisode montre bien l'impuissance des manufacturiers regroupés derrière Victor Grandin face aux financiers spéculateurs, nouveaux venus dans la société française.

Synthèse technique (hors mémoire)

Projet élaboré en 1835-1838, puis plus concrètement en 1839
Adjudication à Charles Levasseur (financier) et aux frères Seguin (entrepreneur) 26 mars 1841
Coût estimé au début du projet 343 000F
Inauguration Le jeudi 5 janvier 1843
Longueur de l'ensemble de l'ouvrage (hors les rampes d'accès et la chaussée) 430m (le grand pont 161,60m et le petit 40m)
largeur 6,70m

Bibliographie du mémoire